Qualité & management
Les Fossoyeurs : les protagonistes de l’affaire sur le gril
Victor Castanet, Orpea, l’ARS Ile-de-France, Korian devant les députés et quatre missions flash lancées
Depuis la parution de l’enquête Les Fossoyeurs le 26 janvier, la commission des affaires sociales a saisi l’ « affaire Orpea » a bras le corps, multipliant les auditions. Après les dirigeants du groupe le 2 février puis l’auteur de l’enquête Victor Castanet le 9, la commission entend cette semaine d’autres protagonistes de l’affaire, mais aussi Sophie Boissard et Nicolas Merigot, du groupe Korian. En parallèle, quatre missions flash sur les Ehpad ont été annoncées hier. Le point.
Les auditions se suivent et ne se ressemblent pas. Le 2 février, la présidente de la commission des affaires sociales Fadila Khattabi mettait un terme après 2h40 d’échanges à l’audition de Jean-Christophe Romersi, DG France d’Orpea et Philippe Charrier, nouveau directeur général du groupe, soulignant que « la représentation nationale, je vous le dis franchement, [était] déçue de la qualité de vos réponses ou de la qualité de vos réponses ».
« Impréparation, voire désinvolture »
Les deux dirigeants du groupe s’étaient en effet montrés évasifs, tenant selon le député Modem Nicolas Turquois « un discours creux sur les grands principes », utilisant en outre des « arguments technico-administratifs » pour « noyer le poisson ».
« J’espérais de vous transparence et humilité, que vous devez aux contribuables français et aux familles. Mais honnêtement quelle déception ! J’assiste à une mascarade », a ajouté Laetitia Romeiro-Dias (LREM).
La semaine suivante, la commission a invité Amélie Verdier,
directrice générale de l’ARS Ile-de-France pour l’« éclairer sur les
règles, les procédures et les contrôles » puisque l’enquête détaille des
situations qui ont eu lieu dans un Ehpad francilien, l’Ehpad des Bords
de Seine à Neuilly.
Elle a notamment pointé des taux d’absentéisme et de vacance de postes « clairement plus élevés » dans les établissements du groupe que les moyennes régionales : respectivement 15 % contre 12,5 % pour l’absentéisme et 7,3 contre 1,6 % pour les vacances de poste.
Sur la question des contrôles, l’ARS a recensé 16 contrôles en 10 ans dans 14 des 57 Ehpad Orpea d’Ile-de-France, dont l’Ehpad de Neuilly.
« Plainte pour homicide involontaire » à Neuilly
L’ARS y a mené une inspection inopinée en août 2018 « au vu du volume des réclamations », qui a donné lieu à un rapport transmis à l’établissement en juin 2019. Elle avait identifié des dysfonctionnements en matière de ressources humaines (turnover, pas assez d’encadrement) entraînant une « prise en charge » de moindre qualité, avec des projets individualisés insuffisamment mis à jour ou une gestion des risques pas assez travaillée.
Une autre inspection inopinée aurait dû y avoir lieu en 2020, suite à une alerte de la Défenseure des droits concernant un résident de cet établissement. La crise sanitaire a conduit l’agence à revoir son programme de contrôles.
Amélie Verdier a également indiqué que l’agence avait reçu une réclamation liée au décès d’un résident, à laquelle une réponse avait été apportée, puis qui a donné lieu à une plainte pour homicide involontaire de la part de la requérante. Plainte dont vient de se saisir le Parquet.
Une nouvelle inspection, lancée fin janvier par l’agence et le conseil départemental, est toujours en cours.
L’après-midi, au tour du journaliste Victor Castanet, l’auteur des Fossoyeurs, de répondre aux membres de la commission. Il a pu détailler certains des éléments dévoilés dans son livre et a présenté différents documents aux députés, mais aussi souligné que le scandale n’a rien de surprenant.
« Voilà des années que des alertes sont lancées par des familles, par des salariés, par des journalistes, par des avocats, par des syndicats… Qui les a écoutés, qui les a entendus ? », a martelé le journaliste qui parle de « défaillances de l’Etat » et considère que seule une commission d’enquête pourra apporter des réponses.
Il a aussi indiqué qu’à ce jour, aucune plainte pour diffamation n’a été déposée contre lui ou son éditeur, Fayard.
« Veiller à ce que la parole des résidents, des familles soit entendue »
Cette semaine, les auditions se poursuivent. Mardi ont été entendus Élodie Marchat, directrice générale adjointe du pôle Solidarités du conseil départemental des Hauts-de-Seine ; mais surtout Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué en charge de l’exploitation et du développement d’Orpea.
La commission attendait à nouveau « des réponses précises et étayées ». Mais
l’ancien dirigeant a réfuté les révélations de Victor Castanet, ou
indiqué ne pas être au courant, sur le système de marges arrière
notamment.
Il a également indiqué qu’il se réservait la possibilité d’attaquer le journaliste en justice pour diffamation.
« À vous entendre (…), vous n'êtes responsable de rien » a résumé Marie-Noëlle Battistel (PS). « En fait, tout ce qui est écrit dans le livre de Victor Castanet (…) est sorti de son imagination. (…) Si c'est le cas, il serait urgent pour vous de le traîner en justice, mais vous hésitez encore. »
Ce jeudi sont aussi organisées des tables rondes avec des familles de résidents en établissement, des associations de familles de personnes âgées et des avocats.
Yves Le Masne excusé pour problèmes de santé
Des auditions tous azimuts, avec malgré tout de grands absents : le discret Jean-Claude Marian, fondateur du groupe, qui a abandonné la nationalité française pour devenir Belge ; et Yves Le Masne, l’ancien directeur général.
Le 15 février, la présidente de la commission a indiqué qu’elle avait sollicité ce dernier pour une audition. Réponse de son avocat : « Monsieur Yves Le Masne a dû supporter une mise à l’écart de son poste et un départ de l’entreprise où il était salarié depuis 29 ans. Cette douloureuse sanction a provoqué une altération soudaine de sa santé. Il a été admis à l’hôpital pour des soins en urgence. Sa convalescence se poursuit en dehors de paris et ne permettra pas dès lors son audition le 15 ou le 16 février prochain. »
Il devrait cependant être disponible « d’ici 10 à 15 jours ».
Quatre missions flash thématiques
Lors de l’audition d’hier, Fadila Khattabi a également annoncé le lancement de quatre missions flash sur différents enjeux :
- Marine Brenier (LR), Didier Martin (LREM) et Cyrille Isaac-Sibille (Modem) travailleront sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines en Ehpad
- Caroline Janvier (LREM), Jeanine Dubié (Libertés et territoires) et Pierre Dharréville (GDR) sur la gestion financière des Ehpad ;
- Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), Gisèle Biémouret (PS), et Valérie Six (UDI) examineront le rôle des proches dans la vie des établissements ;
- Véronique Hammerer (LREM), Isabelle Valentin (LR) et Caroline Fiat (FI) seront chargées de travailler sur « l’Ehpad de demain, quel modèle ? ».
Les rapports sont attendus pour le 2 mars.
Korian à son tour sur la sellette
Pour obtenir son « éclairage et [son] appréciation », mais aussi parce que le groupe est cité dans Les Fossoyeurs, la commission des affaires sociales recevait ce mercredi après-midi Sophie Boissard, directrice générale de Korian, et Nicolas Mérigot, DG France.
« Les faits, tels qu’ils sont décrits dans ce livre (…) je les trouve extrêmement choquants et je les condamne sans détours », a affirmé la directrice générale, qui s’est défendue de toute pratique similaire chez Korian.
Elle a notamment indiqué que les directeurs d’établissements étaient libres de passer leurs commandes et de remplacer les absents sans autorisation du siège, et clarifié le processus d’achat, attestant qu’il n’existait pas de système de marge arrière depuis qu’elle est en poste, soit six ans.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’en existait pas auparavant, puisque l’ex-directeur cité par Victor Castanet sur les marges arrière chez Korian a quitté le groupe en 2016.
Concernant les plaintes des familles, rassemblées par l’avocate Sarah
Saldmann en vue d’une action collective, Sophie Boissard a déclaré
qu’une partie des litiges en question étaient déjà identifiés par Korian
via le système d’enregistrement des réclamations du groupe. « Des
situations déjà compliquées qui se sont exprimées publiquement après la
publication du livre de Victor Castanet », a-t-elle ajouté.
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